Le Premier ministre Gabriel Attal était à Berlin hier ( lundi 5 février) pour un échange avec son homologue allemand Olaf Scholz, afin de redonner un souffle au couple franco-allemand après des mois de flou. Mais le désaccord qui anime les deux hommes autour de l’accord UE-Mercosur n’a en rien été résolu.
Ce passage éclair à Berlin marquait le tout premier déplacement à l’étranger de M. Attal en sa qualité de Premier ministre, dans un souci de « rappeler l’importance de l’amitié franco-allemande », a-t-il précisé lors d’une conférence de presse.
Les deux hommes auraient abordé une palette de sujets lors d’un entretien bilatéral, dont le soutien à l’Ukraine, l’économie européenne, ou encore le pacte Asile et Migration. L’échange a été « riche, dense et direct », a affirmé le Premier ministre français.
Cette rencontre intervient à quelques mois d’une visite d’État d’Emmanuel Macron en mai, et à un moment où le couple franco-allemand – que les Allemands nomment plus pudiquement le « tandem » – semble battre de l’aile.
En octobre, des représentants des gouvernements français et allemand s’étaient retrouvés pour une retraite historique de deux jours à Hambourg afin de donner à leur relation bilatérale un second souffle, après que des désaccords fondamentaux sur les questions énergétiques, industrielles et de défense ont émergé au cours des deux dernières années.
Trois mois plus tard, les désaccords ne sont plus qu’une vieille histoire, semble souffler Gabriel Attal : « L’amitié franco-allemande, c’est une volonté de construire, de se parler pour mieux se comprendre et de se retrouver toujours sur l’essentiel ».
Ce que confirme Olaf Scholz, qui parle d’une « relation très spéciale », synonyme d’un « grand bonheur de notre histoire ».
Avant son départ, Agnès Pannier-Runacher préparait une position franco-allemande sur l’énergie
Avant la suppression du ministère de la Transition énergétique lors du dernier remaniement, les équipes de l’ancienne ministre française Agnès Pannier-Runacher préparaient un papier commun destiné à son homologue allemand, Robert Habeck, pour apaiser les tensions énergétiques.
Désaccords fondamentaux
Mais derrière les beaux discours, de réelles dissensions persistent entre Paris et Berlin, notamment sur les négociations en cours autour d’un potentiel accord de libre-échange entre l’UE et les pays du Mercosur – le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay.
Cet accord, dont les premières négociations remontent à 1999, s’annonce, s’il est adopté, comme le plus gros accord commercial au monde.
Mais, après des années de tergiversations, les négociations sont à nouveau au point mort alors que l’accord est pointé du doigt par des agriculteurs en colère qui disent ne plus pouvoir tenir face à une « concurrence déloyale » qu’impose l’importation de biens non-européens vers le Vieux continent.
Tandis que Berlin a toujours cru en un accord, le président Emmanuel Macron a déclaré jeudi (2 février) qu’en l’état, une signature n’était pas envisageable.
« Il faudrait tout de même finir ces négociations », a expliqué M. Scholz lors de la conférence de presse, affirmant que la politique commerciale européenne était d’une valeur « géostratégique ».
Mais M. Attal s’en est tenu à une ligne radicalement différente, qui rend toute approbation de l’accord par la France impossible tant que des « clauses miroirs », qui imposent une réciprocité des règles environnementales, sociales et sociétales des produits échangés, ne sont pas ajoutées au texte.
« Il peut arriver que sur certains sujets, on ne soit pas d’accord, mais […] ‘we agree to disagree’ », a affirmé le Premier ministre français, usant d’une formule anglo-saxonne qui signifie accepter de ne pas être d’accord.
En matière de défense, les deux dirigeants se sont dits optimistes quant au développement d’un système de combat aérien du futur (SCAF), un programme européen sans précédent de création et production d’avions de chasse dont font partie le français Dassault Aviation, l’allemand Airbus et l’espagnol Indra Sistemas.
Le projet, dans les tuyaux depuis plusieurs années, peine à aller de l’avant, en raison de désaccords sur les rôles et responsabilités de chaque producteur.
Enjeux Internationaux
A Berlin, Gabriel Attal « assume » les divergences avec l’Allemagne
Lors de sa première rencontre avec le chancelier Olaf Scholz depuis sa nomination, le Premier ministre a réaffirmé l’importance du dialogue franco-allemand. Et acté les divergences de réponses aux agriculteurs et sur le libre-échange avec le Mercosur.
« J’assume ». La formule répétée par Gabriel Attal lors de sa première visite à Berlin depuis sa nomination est conforme à l’image que les Allemands se font du Premier ministre français : un pur produit du macronisme.
En l’occurrence, il a assumé les divergences franco-allemandes à propos de la conclusion de l’accord commercial entre l’Union européenne et les quatre pays du Mercosur , le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay. Pour le chancelier Olaf Scholz, l’accord « en négociation depuis vingt ans doit tout de même être conclu un jour ». Surtout, « il a une grande valeur géostratégique », alors que l’UE se plaint de perdre de l’influence dans le monde « sans rien faire ».
Gabriel Attal « assume », pour sa part, de s’opposer à la conclusion de cet accord tant qu’il n’inclura pas des « clauses miroirs ». Elles doivent assurer que l’Europe n’importe pas des marchandises produites selon des méthodes interdites par l’UE. Ce sont des clauses « de bon sens », a-t-il commenté lundi soir devant la presse.
L’approche des deux pays sur ce sujet traduit l’attachement de l’Allemagne au commerce extérieur, sur laquelle elle a bâti sa croissance pendant les années Merkel, rappelle Jacob Ross, spécialiste des relations franco-allemandes à l’institut allemand pour la politique étrangère de Berlin, la DGAP.
Elle reflète aussi leurs réponses divergentes aux manifestations d’agriculteurs des deux côtés de la frontière. « Alors qu’Emmanuel Macron affirme que l’accord sera renégocié pour donner satisfaction aux agriculteurs, le chancelier Scholz leur résiste en rappelant que le libre-échange est fondamentalement favorable à l’Allemagne. »
Attachement français au dialogue avec l’Allemagne
Au-delà de ces différends ponctuels, Gabriel Attal a toutefois voulu réaffirmer l’attachement français au dialogue allemand par cette visite à Berlin, « moins d’un mois » après sa nomination et avant la visite d’Etat d’Emmanuel Macron en Allemagne en juillet prochain, à l’occasion du 60e anniversaire du traité de l’Elysée qui unit les deux pays.
L’exercice était d’autant plus complexe que le champ de compétence du Premier ministre français et du Chancelier allemand ne se recouvre pas sur le terrain de la politique étrangère.
A quelques jours du voyage d’Olaf Scholz aux Etats-Unis pour convaincre le congrès d’approuver la poursuite de l’aide américaine à l’Ukraine, les nuances sur la qualité de l’aide française et allemande faisaient toutefois encore désordre.
L’Allemagne n’est pas prête non plus à répondre aux offres françaises d’aborder la question de la dissuasion nucléaire en Europe . Olaf Scholz a souligné qu’il n’est pas encore temps de parler de la question, dans un long entretien au quotidien « Die Zeit ». « Ce serait envoyer un mauvais signal aux Américains avant les élections », note Jacob Ross.
Les Allemands se souviennent aussi que le discours de politique général de Gabriel Attal a rappelé, entre les lignes, la perte de compétitivité de leur pays en pleine récession . « En insistant sur le fait que la France est devenue le premier pays en termes d’investissement direct étranger, le président Macron à Davos puis Gabriel Attal à l’Assemblée nationale rappellent que la France a désormais pris la place de l’Allemagne en Europe », remarque Jacob Ross. Il y voit la trace de « Schadenfreude », ce mot allemand désignant une certaine propension des Français à se réjouir des malheurs de l’Allemagne.
On mesure la force de l’Europe à la solidité de l’amitié franco-allemande, que nos deux nations avancent ensemble et l’Europe accélère, se développe et retrouve ses habits de puissance » plutôt que « nos deux nations se divisent et l’Europe tout entière hésite », a affirmé le chef du gouvernement français qui effectue à Berlin son premier déplacement à l’étranger depuis sa nomination.
« L’amitié franco-allemande fait partie des grandes chances de notre histoire », a abondé le chancelier allemand Olaf Scholz, âgé de 65 ans, lors d’une conférence de presse organisée à l’issue d’un entretien en tête à tête avec Gabriel Attal, 34 ans, qui a duré une demi-heure.
Les deux responsables devaient ensuite diner ensemble à la chancellerie avec leurs délégations.
Devant la communauté française à l’ambassade de France, Gabriel Attal a mis en garde contre la « brèche de la division » entre les deux pays.
« C’est celle qu’attendent les populistes, celle dont se repaissent les extrêmes, guettant la moindre de nos différences pour flatter les plus bas instincts et tenter de saborder l’Europe », a-t-il souligné, alors que l’extrême droite est donnée favorite en France et dans d’autres pays aux élections européennes de juin.
« Déconstruire l’Europe »
Que ce soit le Rassemblement national en France ou l’AfD en Allemagne, les partis d’extrême droite « ont un point commun: ils veulent déconstruire l’Europe », a-t-il ajouté devant la presse.
Il a suggéré de leur répondre « en agissant » sur « ce qui peut être exploité comme étant des vulnérabilités » de l’Union européenne, avec le pacte européen sur la migration et l’asile, qui permet de « mieux contrôler nos frontières au niveau européen », et la « réindustrialisation ».
Les incertitudes liées aux guerres, à l’inflation, au réchauffement climatique « donnent une dynamique aux mouvements populistes d’extrême droite », a aussi constaté Olaf Scholz, « convaincu que nous arriverons à la surmonter à condition qu’Allemagne et France se concertent étroitement et agissent en commun ».
Entre Paris et Berlin, les points de friction sont nombreux, même si les responsables des deux pays affichent leur détermination à remettre la relation sur les rails, sur la question du marché de l’électricité, dont dépend la facture énergétique des ménages et entreprises, sur celle de la défense ou de la place du nucléaire.
« Il y a toujours des moments difficiles dans la relation entre la France et l’Allemagne. Mais ces moments ne doivent jamais nous faire reculer » et « jamais nous faire renoncer », a ajouté Gabriel Attal.
Il faisait écho au message envoyé par Olaf Scholz et le président français Emmanuel Macron qui s’étaient déjà efforcés de raffermir cette entente de raison lors d’un séminaire entre les deux gouvernements en octobre à Hambourg (nord de l’Allemagne).
Gabriel Attal s’est dit convaincu que le « sursaut européen sera un sursaut franco-allemand ».
Désaccord
La guerre en Ukraine a mis à nu plusieurs divergences de fond sur l’alliance historique des deux pays, motrice de la construction européenne, de l’énergie aux programmes de coopération industrielle sur l’avion de combat et le char du futur.
Sur l’aide militaire à l’Ukraine, Olaf Scholz plaide pour son accroissement, visant sans la citer la France, première puissance militaire de l’UE.
Gabriel Attal a promis que Paris allait « continuer à investir financièrement et des moyens techniques, militaires pour soutenir les Ukrainiens ».
Les nouvelles promesses d’aide occidentale à Kiev sont tombées à leur plus bas niveau depuis le début de l’invasion russe, a calculé début décembre l’institut de recherche allemand Kiel Institute.
Sur la crise agricole qui touche leurs deux pays, Olaf Scholz a réaffirmé son soutien à l’accord commercial en négociation entre l’UE et les pays latino-américains du Mercosur, auquel s’oppose la France, mettant en avant les « perspectives de croissance » pour l’Europe.
Gabriel Attal a admis qu’ils étaient en « désaccord » sur ce sujet (« we agree to desagree ») et réitéré la position de Paris selon laquelle « les conditions ne sont pas réunies » pour cet accord.
Néanmoins, « 2024 sera une année spéciale pour les relations franco-allemandes », a souligné le chancelier, avec notamment la visite d’Etat du président français Emmanuel Macron en Allemagne fin mai.