Jannah Theme License is not validated, Go to the theme options page to validate the license, You need a single license for each domain name.
ActuNews actuSociété

Aya Nakamura, diva nationale des Jeux olympiques

À 28 ans, elle est la chanteuse francophone la plus écoutée dans le monde. La star fait face aux attaques de l’extrême droite, alors qu’elle doit reprendre Édith Piaf aux JO.

À gauche, Aya Nakamura à la cérémonie des Flammes, jeudi, au théâtre du Châtelet à Paris, où la chanteuse a reçu trois prix.
À droite, Aya Nakamura, Brigitte Macron et Hélène Arnault, à Paris, mardi sur une vidéo Tiktok
À gauche, Aya Nakamura à la cérémonie des Flammes, jeudi, au théâtre du Châtelet à Paris, où la chanteuse a reçu trois prix. À droite, Aya Nakamura, Brigitte Macron et Hélène Arnault, à Paris, mardi sur une vidéo Tiktok (Crédits : © LTD / Les Flammmes)

C’est un petit immeuble HLM abîmé par le temps, dans une rue calme d’Aulnaysous-Bois, en Seine-Saint-Denis. Aya Nakamura a grandi là, « dans un F4 », précise un voisin : « Elle partageait une chambre avec ses deux sœurs. Aux murs, elle avait accroché des photos de Rihanna et de Beyoncé. » Aînée d’une fratrie qui compte aussi deux frères, elle est arrivée du Mali avec ses parents quelques mois après sa naissance, en 1995. La voix de sa mère, son « mentor », dit-elle, berce son enfance de mélodies et de poésies issues de la tradition des griots africains. « Elle chantait, elle contait, dans ma langue [le bambara]. Je la regardais. Elle avait un bon flow », a raconté Aya Nakamura. Le père, barman à l’aéroport de Roissy, n’est pas facile. Avec lui, les relations se tendent à l’adolescence, à tel point que la jeune fille est placée en foyer quelque temps.

 

Dans le quartier de la Rose des Vents, les passants croisés connaissent tous l’histoire, celle d’une gamine au fort caractère qui rêve de chansons et de succès en regardant des télé-crochets. Aya Danioko s’est choisi un nom de scène, Nakamura, emprunté à un personnage de la série américaine Heroes. Encouragée par ses copines, elle improvise dès le lycée ses premiers morceaux, tourne même un clip et publie sur Facebook et YouTube ces ébauches qui font mouche. Les dénicheurs de talents de Warner Music repèrent son joli brin de voix et le charisme évident que lui procure son physique athlétique. Un air de Naomi Campbell avec la gouaille d’une titi banlieusarde. Surtout, la maison de disques s’intéresse au nombre de vues délirant de ses vidéos, élément déterminant pour faire carrière. « Comme Aya, de nombreux artistes qui ne correspondent pas aux anciens canons des maisons de disques ont émergé grâce au streaming, explique l’auteur Olivier Cachin, spécialiste du rap et du hip-hop. Autrefois, leurs patrons décidaient de qui aurait du succès. Mais ils sont passés de défricheurs à suiveurs. Aujourd’hui, c’est la réussite en ligne qui est déterminante. »

Un mélange d’argot, de dialectes et d’anglicismes

En 2015, Aya signe son premier contrat. Elle a 20 ans et attend un enfant, mais refuse de se faire avorter, comme certains, estimant qu’elle ne pourra percer si elle devient mère, le lui conseillent. Indépendante, déterminée, confiante déjà, elle résiste et sort un disque, Journal intime, 19 bluettes d’où surgit un tube, Comportement. Ces deux minutes cinquante secondes de zouk chaloupé sont la première démonstration de force de la future star, l’élaboration de sa marque de fabrique : des paroles drôles et inventives, mélange d’argot, d’anglicismes, de dialectes et d’expressions imagées, sur un rythme fait pour se déhancher.

La suite s’écrit sur Instagram et TikTok, où, morceau après morceau – dont elle signe le plus souvent les paroles -, elle explose les records de téléchargements et d’écoutes, dans une profession où le streaming représente les trois quarts du chiffre d’affaires. Sa carrière est avant tout numérique, construite sur les plateformes (Spotify, Deezer, Apple) et les réseaux sociaux, dont elle maîtrise les codes, à l’image de son public, enfants et jeunes de moins de 30 ans principalement. Autre exploit : la viralité internationale de ses titres qui, chose rare, s’exportent en Asie, en Afrique et en Amérique, faisant d’elle l’artiste francophone la plus écoutée dans le monde en 2023. « Sa musique, c’est de la nouvelle pop, décrypte Cachin. De la variété où se mêlent des influences hip-hop, dance et afro. Elle apporte quelque chose de nouveau dans la jonction entre ces styles. Mais son succès s’explique aussi parce qu’elle représente une nouveauté dans l’industrie française : une femme noire, avec des formes. »

Suggestion soufflée par Thomas Jolly

Daphné Weil, manageuse d’artistes rap depuis quinze ans, confirme : « Dans ce milieu, les femmes n’ont pas droit au même traitement de faveur que les hommes. Les chanteuses R’n’B se comptent sur les doigts d’une main en France. On est obligé de développer des programmes d’accompagnement pour les pousser. Il y a un blocage chez les auditeurs, qui sont réfractaires au fait qu’une femme rappe. Pour Aya, il y a eu un contexte avantageux, car les musiques urbaines ont pris de plus en plus de place, c’est le premier genre écouté en France. »

En février, Aya Nakamura a les honneurs de l’Élysée, conviée par le président de la République. Ce jour-là, Emmanuel Macron la reçoit dans son bureau pour lui proposer de se produire lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, suggestion qui lui a été soufflée par Thomas Jolly, directeur artistique de l’événement. La discussion dure une trentaine de minutes, le temps pour le président et la chanteuse d’évoquer l’éventualité d’une reprise d’Édith Piaf, L’Hymne à l’amour par exemple. L’entrevue, révélée par le journal L’Express, provoque des réactions haineuses de l’extrême droite, qui ne supporte pas qu’une femme noire puisse représenter la France.

Le groupuscule raciste Les Natifs déploie une banderole sur les bords de Seine avec ces mots inscrits : « Y a pas moyen Aya, ici c’est Paris, pas le marché de Bamako ». Marion Maréchal suit, déclarant : « Cette femme ne chante pas en français, elle ne représente pas la langue française. » Marine Le Pen y voit, elle, une « provocation supplémentaire d’Emmanuel Macron ». Ajoutant, tout aussi insultante : « Ce n’est pas un beau symbole », ciblant la « vulgarité » supposée d’Aya Nakamura, concluant : « Elle chante on ne sait pas quoi. Ce n’est pas du métissage, c’est du n’importe quoi. » De quoi décupler les attaques contre la chanteuse, qui, depuis ses débuts, doit affronter le racisme virulent d’une minorité très active sur Internet. Le 25 avril, lauréate de trois prix lors de la cérémonie des Flammes, qui récompense les artistes rap et R’n’B, au théâtre du Châtelet à Paris, Aya Nakamura prend la parole. Chevelure bleue, talons aiguilles, sourire triomphant, elle fait plusieurs fois allusion à ces discriminations odieuses et est longuement applaudie. « Ce trophée est pour toutes les « Renois » et les petites filles qui me regardent, a-t-elle lancé. On revient de loin. » Précisant : « Être une artiste féminine noire qui vient de banlieue, c’est très difficile. »

Ce trophée est pour toutes les « Renois » et les petites filles qui me regardent. On revient de loin

Aya Nakamura, lors de la cérémonie des Flammes

 

Pour se protéger, et pour garder le contrôle, Aya Nakamura a choisi d’être sa propre manageuse. Elle gère sa carrière sur WhatsApp, au travers d’un groupe de discussion dédié à son label, Rec. 118, d’un autre consacré aux marques avec lesquelles elle signe des partenariats, Balenciaga par le passé, Lancôme ou le jeu vidéo Fortnite, d’un troisième pour les tourneurs et organisateurs de ses concerts. Dans son équipe : un styliste, un coach scénique, un chorégraphe, une avocate. Passionnée de mode, c’est elle qui suggère, en 2019, un rapprochement avec la maison qui monte, Jacquemus, dont elle aime porter les créations. « C’est la patronne », nous dit-on de celle qui a l’habitude de s’enfermer en studio, avec musiciens et arrangeurs, pour chercher ses « toplines », les mélodies fredonnées avant l’écriture des paroles, les hits en devenir.

A l’aise parmi les grands de ce monde

Une gestion directe, donc, avec peu d’intermédiaires, qui n’empêche pas le verrouillage de son entourage, quasi impossible à joindre, comme effrayé de prendre la parole pour raconter sa star. Même l’attachée de presse qui la suit refuse de s’exprimer. En dix ans, Aya Nakamura n’a donné que quelques interviews, à des médias audiovisuels spécialisés, ou bien à des magazines de mode, VogueVanity FairGQ. Sur France Inter, elle a raconté avoir été victime de violences conjugales de la part du père de sa fille aînée, Aïcha, 8 ans.

Aujourd’hui en couple avec Vladimir Boudnikoff, réalisateur de clips et père de son deuxième enfant, Ava, née il y a deux ans, elle a quitté le 93 pour une ville voisine, en Seine-et-Marne. Elle conduit sa propre voiture, nous glisse-t-on, s’occupe de ses filles, passe ses soirées en famille ou avec ses amies d’enfance, les fidèles à qui elle accorde sa confiance. S’aventure parfois dans les restaurants cossus de la capitale, à l’aise parmi les grands de ce monde, comme cette nuit du 23 avril où on la voit, sur une vidéo TikTok, festoyer avec Brigitte Macron et Hélène Arnault. Début 2023, alors que sortait son quatrième album, c’était au tribunal de Bobigny que les fans retrouvaient Aya Nakamura. Elle y fut condamnée, avec son compagnon, à 10 000 euros d’amende pour des « violences réciproques sur conjoint », à la suite d’une dispute nocturne où le couple a échangé des coups. L’épisode ne semble pas entacher la réputation de l’artiste, dont les plus récents morceaux, DaddyBaby ou SMS, sont certifiés singles d’or. Devant son ancien immeuble à Aulnay, une jeune fille sourit : « On est tellement fiers d’elle ! »

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page