
Elle est née femme dans un monde dominé par les hommes ? Pour faire oublier son sexe, la reine Hatchepsout n’hésite pas à se faire appeler « taureau sauvage » et à se montrer avec des poils au menton.
La scène ressemble à l’intronisation de n’importe quel pharaon. Aux environs de 1490 avant J.-C., à la fin du mois de juillet, la barque sacrée d’Amon, portée par des prêtres, se dirige vers le palais royal de Thèbes. Le futur roi l’y attend. Il se prosterne et fait une promesse solennelle au dieu Amon: « Mon maître, j’agirai conformément à ce que tu ordonneras. » Hatchepsout, c’est le nom de ce pharaon, devient officiellement le nouveau souverain de l’Egypte. La cérémonie est bien rodée. A un détail près : cette fois, le pharaon est une femme. Dans un monde dominé par les hommes, ce détail a de l’importance ! « Abstiens-toi d’approcher la femme afin que ton nom ne soit pas malodorant ! » dit un moraliste égyptien.
Sur les bords du Nil, on se méfie des femmes de pouvoir. De temps en temps, il arrive qu’une veuve de pharaon assure l’intérim en attendant que son fils soit en âge de régner. Mais la dame sait rester à sa place, elle n’a pas l’outrecuidance de se faire introniser. Or, Hatchespsout veut tout : le pouvoir avec ses attributs, la gloire, les palais et les hymnes.
La « première d’entre toutes les femmes »
Sur le papier, Hatchepsout est une graine de pharaon. Son père n’est autre que Thoutmosis Ier, grand conquérant et roi très populaire. Lorsqu’il décède, son fils Thoutmosis II, demi-frère et mari d’Hatchepsout, lui succède. Mais la chance sourit à l’ambitieuse, car son époux succombe rapidement, laissant derrière lui un enfant:
Thoutmôsis III

C’est le « Napoléon de l’Egypte antique », un chef de guerre redoutable qui aurait soumis 350 cités, surtout en Asie. C’est aussi un roi bâtisseur, préservant des temples de l’érosion et en construisant d’autres en Nubie, à Médinet Habou ou encore à Esna. Il reste pharaon pendant 52 ans, pour ce qui constitue le plus long règne connu sous le nouvel Empire. Thoutmosis III, né d’une seconde femme. Officiellement, le garçon, son neveu, est le nouveau souverain du pays. Seulement Hatchepsout refuse de jouer les seconds rôles. Elle avait un plan.
Hatshepsout porte la barbe
Déjà officieusement aux commandes du royaume égyptien pendant le règne de Thoutmosis II, son époux, Hatshepsout devient à sa mort, vers 1479 av. J.-C., « roi » de Haute-Egypte et de Basse-Egypte. A la fin de la cérémonie d’intronisation, elle sort du temple d’Amon en portant la barbe postiche, attribut des pharaons. Dès lors, elle fait disparaître toute trace de féminin dans sa titulature et se fait représenter en homme sur les bas-reliefs des temples. Elle sera aussi la première femme à se faire creuser une tombe dans la Vallée des Rois.
Tandis que le jeune Thoutmosis grandit, sa tante se rend indispensable sur la scène politique. Elle figure sur les images officielles, représentée derrière le jeune roi. Comme si elle voulait peu à peu faire accepter sa présence. Mais elle prend de plus en plus de place. D’abord « fille aînée du Roi », elle se fait bientôt appeler « première d’entre toutes les femmes ». Elle tente de rallier à sa cause le puissant clergé d’Amon. C’est chose faite en l’an 7 du règne de son neveu. Grâce à l’appui des prêtres, plus rien ne s’oppose à son couronnement. Un geste qui témoigne d’une sacrée dose de culot ! Officiellement, elle n’est que corégente et règne avec son neveu. Dans les faits, elle est seule à la manœuvre.
Reine de la com
Pendant quinze ans environ, cette femme courageuse et intelligente règne pacifiquement, faisant la part belle au commerce et à l’enrichissement de son royaume. Mais sa véritable obsession est de faire oublier son sexe à ses sujets. Dès sa prise de pouvoir personnel, elle fait bâtir, dans le cirque de Deir el-Bahari, un temple funéraire, « le saint des saints », recouvert de reliefs à sa gloire. La pharaonne tord la réalité et se fait représenter en homme vêtu du pagne court et paré de la barbe postiche. Comme un garçon. Les allusions à sa virilité affluent : « La quantité de ta semence est abondante », dit un éloge. « Je suis un taureau sauvage aux cornes pointues », peut-on lire ailleurs.
Dans le même temple, elle étale les preuves de son origine divine sur une série de sculptures appelées « reliefs de la naissance ». On y voit le dieu Amon, son père charnel, qui a pris l’apparence du roi régnant, Thoutmosis Ier. Ainsi grimé, il rend visite à la reine Ahmès, mère d’Hatchepsout, pour concevoir l’héritière du trône. Sur un autre relief, Hatchepsout enfant est présentée aux dieux qui s’émerveillent devant tant de perfection. D’un commun accord, ils décident de faire de la fillette une future pharaonne d’Egypte. Un habile plan com : reine par la grâce des dieux, Hatchepsout ne peut être accusée d’avoir usurpé le pouvoir.
Morte dans l’oubli
La pharaonne à barbe a presque réussi son pari : ne plus être prisonnière de son sexe, mais incarner un concept pur, celui de la souveraineté de l’Egypte. Hatchepsout meurt à 40 ou 50ans, probablement des suites d’un cancer, comme le laisse supposer une tumeur sur sa momie. Très vite, la misogynie reprend ses droits. Ses statues sont détruites, son nom dans les registres est rayé. Ultime outrage : les chroniqueurs des siècles suivants omettent de l’inscrire dans les listes royales. Difficile de lutter contre 1 500ans de patriarcat.